L’ex-journaliste moto Christophe « Krikke » Jardon (Moto 80, Moto & Loisirs) a connu de nombreux moments forts dans sa carrière professionnelle. Le sympathique Liégeois a goûté aux meilleures motos du monde et a fait des voyages à moto inoubliables aux quatre coins de la planète. Cette semaine, c’est dans une aventure unique que se lance Christophe. Direction Paris dans le sillage de nos athlètes paralympiques !
Du 28 août au 8 septembre, la capitale française accueillera la 17e édition des Jeux paralympiques. Plus de 4 400 athlètes provenant de 182 pays vont concourir dans 22 disciplines sportives. Notre pays y sera représenté par 29 athlètes de haut niveau. Christophe fait partie de l’équipe de communication de notre délégation belge.
En quoi consiste exactement ton travail sur le terrain ?
Christophe Jardon : « Avec une équipe de quatre personnes sur place, nous assurons la communication pour nos canaux propres tels que le site web et les réseaux sociaux. Nous gérons aussi les demandes et les interviews des médias accrédités avec nos athlètes, que ce soit dans le village paralympique ou en zone mixte. Mon rôle à Paris est le prolongement de mes fonctions de responsable de la communication et du marketing pour la Ligue Handisport Francophone. Avec Jeroen (Bauters) et Lothar (Desmet), notre équipe inclut aussi des spécialistes de G-Sport Vlaanderen et Hélène Masson du Comité paralympique belge. Ce seront assurément des semaines intenses, mais j’aborde cela avec beaucoup d’enthousiasme ! »
« Au plus haut niveau, on rencontre des personnalités uniques, désireuses de repousser leurs limites. »
Tu as toujours été très actif dans le sport et tu as pratiqué plusieurs disciplines paralympiques. As-tu déjà envisagé de participer aux Jeux paralympiques en tant qu’athlète ?
Jardon : « Je l’ai effectivement envisagé. Cependant, il s’agit là de sport de haut niveau ! Les athlètes paralympiques se consacrent à leur sport avec autant d’intensité que les athlètes valides. En tant que personne valide, je n’aurais jamais atteint le statut d’athlète d’élite. Nos athlètes consentent à d’énormes sacrifices, que ce soit en termes d’entraînement, de discipline ou d’autres aspects, et cela se poursuit dans leur vie professionnelle. Ceux qui participent aux Jeux paralympiques voient le sport comme leur métier. Personnellement, j’aime le sport, mais la mentalité et la discipline requises pour un mode de vie d’athlète d’élite ne me correspondent pas. Pour moi, le sport doit rester un plaisir. Au plus haut niveau, on rencontre des personnalités uniques, extrêmement compétitives, désireuses de repousser leurs limites. Ils possèdent un mental vraiment exceptionnel ! »
Effectivement, il existe de nombreux exemples d’athlètes qui ont maintenu un mode de vie axé sur la performance après un accident grave. Parmi eux, l’ancien pilote de F1 Alex Zanardi, quadruple médaillé d’or paralympique, David Bailey et Marc Herremans, tous deux triathlètes, ainsi que Joël Roelants, Dave Versluis et Axel Allétru, pour n’en citer que quelques-uns.
Jardon : « Tout à fait, (rires) je vois que tu es bien renseigné ! »
Quels sont les athlètes belges à suivre de près ?
Jardon : « Nous participons dans 11 disciplines à Paris et avons plusieurs candidats aux médailles dans divers sports. Par exemple, nous sommes compétitifs en cyclisme avec une solide équipe (Tim Celen, Louis Clincke, Ewoud Vromant, Jonas Van de Steene, Maxime Hordies, Marvin Odent), en athlétisme (Léa Bayekula, Maxime Carabin, Martin Clobert, Peter Genyn, Roger Habach, Kiara Maene, Selma Van Kerm), en tennis de table (Laurens Devos, Ben Despineux, Marc Ledoux et Florian Vanacker) et en équitation (Manon Claeys, Michèle George, Barabara Minneci, Kevin Van Ham). En plus des athlètes, le contexte sera aussi remarquable. L’athlétisme aura lieu au Stade de France et de nombreux sites emblématiques de Paris accueilleront les différentes épreuves. Cela contribue assurément à l’attrait de l’événement. »
En Flandre, des paralympiens tels que Ewoud Vromant, Manon Claeys ou Florian Vanackere sont déjà reconnus par le grand public. Mais qu’en est-il en Wallonie ?
Jardon : « À mon avis, le joueur de tennis Joachim Gérard est notre athlète le plus reconnu. Il a dominé le sport pendant des années, a été numéro un mondial, et a gagné l’Open d’Australie ainsi que Wimbledon. À Rio, Joachim a obtenu la médaille d’argent, et Paris marquera son cinquième et dernier tournoi paralympique. Roger Habsch est aussi bien connu en Wallonie. Avant les Jeux, nous avons noté un intérêt croissant de la part des médias, locaux comme nationaux, ce qui est très positif. »
As-tu déjà affronté Joachim Gérard en match ?
Jardon : « Non, c’est impensable ! Le niveau de Joachim au tennis est tout simplement hors de ce monde comparé au mien. Ce serait comme concourir contre Stefan Everts ou Valentino Rossi dans le passé. Hors de question ! »
Malheureusement, il n’y a pas de Belges dans les sports d’équipe.
Jardon : « C’est exact, et c’est bien dommage. Les sports comme le basket en fauteuil roulant, le football pour aveugles ou le goalball sont très spectaculaires et l’ambiance est toujours au rendez-vous lors des matchs de haut niveau. Espérons que pour les Jeux de LA en 2028, nous aurons des équipes belges qui se qualifieront. »
Suivez-vous encore ce qui se passe dans le sport moto ?
Jardon: « Oui, un peu, mais beaucoup moins qu’auparavant. La première année après mon accident de moto en octobre 2014, je suivais tout de près. Ensuite, j’ai progressivement décroché. Il m’arrive parfois de consulter les résultats du MXGP. Je suis aussi curieux à propos du Motocross des Nations, surtout que je suis notre entraîneur national, Joël Roelants, sur les réseaux sociaux. Une nouvelle génération de motocrossmen belges de haut niveau est en train d’émerger, ce qui est fantastique en soi ! »
Quel est ton plus beau souvenir en tant que journaliste/essayeur ?
Jardon : « J’ai eu la chance de piloter des motos de compétition exceptionnelles telles que la dernière Honda de Valentino Rossi en MotoGP, les Yamaha d’usine de Stefan Everts lorsqu’il alternait entre les 250 et les 450, ainsi que la KTM SX540 de Joël Smets, pour n’en nommer que quelques-unes. En réalité, ce n’est pas aussi festif qu’on pourrait l’imaginer ! Le temps est très limité lors d’un essai en usine, ce qui crée une pression considérable. (sourire) L’expérience idéale telle qu’on la présente sur Instagram et la réalité sont bien différentes ! Vous souhaitez rédiger un essai captivant, mais pour la conduite, il faut également que cela soit photogénique. Ces motos sont coûteuses et exclusives, donc les risques doivent être minimisés. Il est impensable de chuter lorsqu’on est invité par un constructeur pour un tel événement. Ainsi, il est difficile de réellement s’amuser dans ces circonstances. »
Tu as également visité de nombreux lieux où tu n’aurais jamais pensé aller.
Jardon : « Absolument ! Je repense avec nostalgie à tant d’aventures. La Transtunisia, le BMW GS Challenge en Afrique du Sud, et cette fois avec Yamaha en Finlande pour tester les modèles WR. Passer plusieurs jours dans la neige en compagnie d’un ancien pilote de 500cc – Dirk Geukens était aussi de la partie pour Motorgazet – était extraordinaire. Les essais à Budd’s Creek avec la YZ450 ont aussi été une expérience mémorable. Parfois, un T-shirt ou une photo me remémorent ces moments. J’apprécie également les souvenirs des 12 Heures de La Chinelle. Participer en équipe dans une atmosphère si particulière, se relayer au guidon durant la nuit… Ce sont des instants véritablement inoubliables ! »
Certaines personnes cherchent à rester impliquer dans le milieu après un accident de moto. Est-ce une décision délibérée de ta part de ne pas le faire ?
Jardon : « Absolument pas. Comme je l’ai mentionné précédemment, j’étais initialement très impliqué. Autant qu’avant : je lisais tous les magazines, je vérifiais les actualités en ligne, je suivais les courses à la télévision… Mais peu à peu, cet intérêt a diminué, passant d’environ 100 % à 15 %. Beaucoup de pilotes retournent sur la piste avec des machines modifiées. On m’a également suggéré à plusieurs reprises d’essayer ces motos. Toutefois, cela ne m’intéresse pas. J’ai connu le meilleur et je crains que toute autre expérience ne soit qu’une déception. »
« Le sport a le pouvoir de transformer une vie »
Concernant les Jeux d’été, on se demande toujours qui se distinguera comme le roi ou la reine de l’événement. Existe-t-il des athlètes capables de transcender leur sport lors de ces Jeux Paralympiques ?
Jardon : « Je n’ai pas d’opinion tranchée car je suis principalement familier avec nos athlètes nationaux. Netflix a produit il y a quelques années un documentaire marquant intitulé ‘Rising Phoenix’, mettant en avant neuf athlètes paralympiques, y compris l’escrimeur italien Bebe Vio. Ils ont certainement atteint un public plus large. Peut-être qu’une superstar émergera à Paris, qui sait ? Mais pour l’instant, je ne prévois pas l’émergence d’une icône de l’envergure de Michael Phelps ou Simone Biles. Heureusement, à l’échelle nationale, il y a des exceptions avec des athlètes qui ont excellé, comme Marieke Vervoort en athlétisme chez nous, ou Esther Vergeer en tennis aux Pays-Bas. »
La valeur des Jeux paralympiques réside peut-être ailleurs que dans l’immense machine des Jeux olympiques.
Jardon explique : « On ne peut pas prétendre que les médias devraient soudainement porter beaucoup plus d’attention pour créer des superstars. L’attention médiatique augmente, certes, mais sans explosion notable. Il faut aussi se souvenir que l’exposition est fragmentée aux Jeux paralympiques, car il existe différentes catégories selon les handicaps des athlètes. Pour le 100 mètres en fauteuil roulant, il y a de nombreuses catégories et donc de nombreux médaillés. Cela favorise l’émergence de stars nationales. Au-delà des individus, les deux prochaines semaines célèbrent l’esprit du mouvement paralympique : persévérance, égalité, inspiration et courage. Le sport a le pouvoir de transformer une vie. »
Jardon témoigne également de cette réalité : « Absolument, et sans le moindre doute. Comme toute personne ayant vécu un bouleversement majeur, comme moi. Après une blessure à la moelle épinière, le sport devient un élément central de la rééducation. Même confiné soudainement à un fauteuil roulant, cela offre une distraction. On vous passe un ballon et, sans vous en rendre compte, vous jouez au basket. C’est un moyen de retrouver le plaisir, d’être actif physiquement – ce qui était crucial pour moi – et de socialiser. Même après ma rééducation, j’ai continué à pratiquer le sport. Au début, parce que je n’avais pas grand-chose d’autre à faire. J’ai ainsi découvert divers sports, du basket en fauteuil roulant au triathlon, en passant par le handbike, le tennis et le ski. Je suis convaincu que le sport m’a beaucoup aidé à mener la vie que j’ai aujourd’hui. Malheureusement, à cause de mon emploi du temps professionnel chargé, je n’ai pas suffisamment de temps actuellement. »
Concernant les Jeux olympiques, il existe une double mission. D’un côté, il s’agit de remporter des médailles pour les athlètes d’élite, et de l’autre, ils servent de catalyseur pour encourager la pratique sportive parmi le public.
Jardon : « Que ce soit pour la Ligue Handisport Francophone ou pour G-Sport Flandre, ce dernier point représente effectivement un défi majeur. L’intérêt pour le sport augmente après les Jeux chez ceux désirant s’y mettre. Il est donc crucial que nous soyons prêts à les intégrer dans les clubs sportifs. Ainsi, nous pourrons inciter davantage de personnes à pratiquer une activité sportive. Quant au développement continu du sport de haut niveau, c’est une question à part qui requiert des ressources, notamment des subventions. Les sports paralympiques font face à des coûts additionnels. L’équipement, comme les fauteuils roulants et les handbikes, devient de plus en plus sophistiqué et cher, car la technologie évolue vers des matériaux plus légers et des applications avancées, ce qui augmente proportionnellement le prix. De plus, les déplacements à l’étranger coûtent plus cher que pour les athlètes non-handicapés, sans compter qu’il est bien plus difficile de trouver des sponsors. »
L’équipe belge part pour Paris avec de bonnes perspectives, ayant déjà excellé dans la « première moitié » de ces Jeux de Paris 2024.
Jardon : « Nous sommes en tout cas ambitieux pour la suite. À Paris, nous aspirons à surpasser notre performance de Tokyo où nous avons décroché 15 médailles. Le fait que les Jeux se déroulent près de chez nous cette fois-ci est certainement un avantage. Sur le plan logistique, tout est simplifié et c’est plus accessible pour les supporters et les familles. Cela fait une différence et nous donnera sans doute un élan supplémentaire. De plus, pour la première fois, nous aurons notre propre centre pour les supporters avec la ‘Lotto Paralympic Belgium House’. »
Idéal pour fêter les victoires, donc. Bonne chance à Paris !
Jardon : « Merci, on est parti ! »
Interview: Tom Jacobs | Photos: Handisport/Gilles Dehérand, Johan Temmerman/NNieuws & Serge Frocheur