Published On: 25 juillet 2014

Vous passez des heures de plaisir à rouler sur votre moto d’enduro, mais ne vous êtes-vous jamais interrogé sur les origines de votre moto préférée ?  Qui ne s’est jamais demandé comment était assemblé son moteur ?  Qui ne s’est jamais demandé comment était moulés les plastiques de sa moto ?  Qui ne s’est jamais demandé combien d’hommes et d’heures il fallait pour sortir une moto d’enduro d’une chaîne de montage ?  Nous avons eu le privilège d’aller chercher les réponses à toutes ces questions lors de la visite de l’usine du constructeur français Sherco, située à Nimes dans Languedoc Roussillon. Rappelons que Sherco fut le premier constructeur à avoir implanté l’injection sur une machine d’enduro.

Un pari osé

Sherco c’est avant tout un homme, Marc Teissier.  Passionné de moto de trial et entrepreneur avisé, il rejoint Scorpa en 1993. Mais le passionné et visionnaire homme d’affaire qu’est Marc Teissier  souhaite rapidement créer sa propre marque et surtout ses propres moteurs, chose que ne faisait pas Scorpa.  En 1998, Marc Teissier et Andreu Codina créés Sherco.  La première moto, un modèle de trial, voit le jour la même année.  Equipée d’un moteur maison 2-temps de 250 cm3, cette première moto rencontre rapidement un succès.  Dès la première année, 300 unités sont produites.  Début des années 2000 une gamme de motos d’enduro et supermoto voit le jour tandis qu’une seconde unité de production est ouverte, le site de Nimes.

Modernes, performantes, fiables, les Sherco ont le vent en poupe !

Modernes, performantes, fiables, les Sherco ont le vent en poupe !

En 2002, afin de s’attaquer au marché du 50 et 125 cm3, le constructeur rachète la marque HRD.  Deux ans plus tard, Sherco développe la première moto d’enduro du marché équipée de l’injection électronique.  Dès 2004 Sherco est le premier constructeur à posséder une gamme complète de motos de trial 2 temps et 4 temps.  L’année 2008 est marquée par le retrait d’Andreu Codina , et, en 2009, la marque Scorpa est mise en liquidation.  Marc Teissier la rachète.  C’est également la période de l’importante crise économique mondiale que tout le monde connait … le marché du deux roues comme tous les marchés subit de plein fouet la crise et alors que beaucoup tentent de réduire aux maximum les frais, les investissements, Marc Teissier épaulé par des moyens de productions modernes et dynamiques, encadré d’une équipe motivée et passionnée, fait le pari d’investir. Durant cette période le constructeur franco-espagnole n’a cessé de continué à travailler pour récolter aujourd’hui les fruits de ces investissements.

Sherco produit ses motos sur deux sites distincts, les motos de trials sont produites exclusivement en Espagne à Caldes de Montbui  tandis que la gamme enduro (et 50cc) se concentre, elle, sur le site de production de Nimes.  C’est ce dernier site que nous avons l’opportunité de visiter.

Présent en compétition dès le début

Sherco est présent dans la compétition depuis des années, dès le départ ils ont fait le pari de s’engager en compétition avant de sortir le modèle en production.  Entre 1999 et 2009, Sherco a gagne à cinq reprises les Scottish Six Day Trial dont trois fois avec Graham Jarvis.  En 2009, Graham est le premier vainqueur de la célèbre course extrême d’enduro Romaniacs, au guidon de la « petite » Sherco SE2.5i.  La même année, le Dakar verra pour la première fois un constructeur engager une gamme complète via le Team Croco Aventures (aujourd’hui Sherco Rally Team Factory). Des 250 cm³, 450 cm³ et 510 cm³ seront alignées au départ de cette épreuve mythique.  Seule la SR5.1i ne verra pas l’arrivée suite à une chute.

Chez Sherco tout est minutieusement aligné, préparé … chaque opérateur à un rôle bien déterminé, de telle sorte que chaque partie de la chaine vient compléter une autre au fur et à mesure.

Chez Sherco tout est minutieusement aligné, préparé … chaque opérateur à un rôle bien déterminé, de telle sorte que chaque partie de la chaine vient compléter une autre au fur et à mesure.

Au guidon d’une SR4.5 David Casteu marquera le Dakar 2010 en gagnant la première étape. Malheureusement une chute quelques jours plus tard l’obligera à abandonner.  Mais la même année, au guidon de la Sherco SR4.5i, David Casteu est champion du Monde des rallyes tout terrain 450 cm³.

Plus récemment sur le dernier Dakar, alors que les 2 motos Sherco engagées ne nourrissaient guère d’espoir, Les deux pilotes Sherco, Alain Duclos et Joan Pedrero Garcia, ont créé la surprise en remportant chacun une étape  du Dakar 2014 face aux géants KTM, Yamaha ou Honda et ce avec un budget ridicule (200.000 EUR) comparé à Honda (16.000.000 EUR).

Côté mondial enduro, le constructeur est présent avec trois teams cette année, le TEAM SHERCO FACTORY managé par Jordan CURVALLE et composé des pilotes Jérémy TARROUX (E1), Fabien PLANET (E3) et David KNIGHT, le TEAM SHERCO MOTO PULSION managé par Fred COLLIGNON et composé de l’ancien crossman Anthony BOISSIERE (E1), Julien GAUTHIER (E2), et enfin le nom moins célèbre TEAM SHERCO CH RACING managé par un homme qu’on ne présente plus, Fabrizio AZZALIN avec comme pilotes Lorenzo SANTOLINO (E2),  Matti SEISTOLA (E3) et Jessica GARDINER (EW), de quoi nourrir de belles ambitions de podiums et attirer de nouveaux clients.

La chaleur du sud

Nous décollons de Bruxelles jeudi matin en compagnie de la famille Vukcevic, le père et fils.  On ne les présente plus, Philippe le père, et Michaël le fils (alias Mika qui compte plusieurs titres de Champion de Belgique d’enduro, d’innombrables participations au Championnat du monde Trial, d’enduro ou encore d’enduro extrême avec de bons résultats à la clé) sont bien connus en Belgique pour importer et représenter les motos franco-espagnole depuis le début de l’histoire Sherco.

Les motos sont prêtes à être emballées

Les motos sont prêtes à être emballées

Arrivés à Nimes, nous ne sommes pas encore rentrés dans le parking de l’usine que nous croisons quelques employés qui sortent de l’enceinte très discrète du bâtiment… Rien de l’extérieur ne permet d’identifier l’usine Sherco, si ce n’est trois drapeaux discrets et visibles uniquement depuis l’autoroute.« C’est pour des raisons de sécurité, nous annonce Mika, tu viens avec un semi ou une camionnette, tu as vite faite d’embarquer plusieurs motos,  il vaut mieux rester discret… ».  Nous pénétrons dans l’enceinte, nous ne sommes même pas encore sortis de la voiture que des employés saluent les Vukcevic. Visiblement « les Vukc » sont connus comme des vieux sous ici… Un des employés nimois fait même marche arrière pour revenir nous saluer … et engager la discussion, le tout avec l’accent chantant du sud, bien entendu.

Il s’agit de Franck Gibier, le responsable technique & garantie.  D’emblée je suis très bien accueilli, on me mêle à la conversation, on me parle comme si j’étais moi aussi un membre de la famille Vukcevic, comme si je venais régulièrement ici… Le ton est donné, on est bien dans une entreprise familiale où tout de suite on se sent à l’aise et pas du tout étranger… Mais le temps passe et Philippe se voit presque obligé de forcer l’employé de nous quitter, sa fille l’attend, on ne voudrait pas le retarder. Mais il faut aussi avouer que nous accusons un gros retard, nous avons mis autant de temps (si pas plus) pour récupérer les clés de notre voiture de location que pour faire Charleroi-Nimes, un comble !

Chaîne de montage de moteurs, ils travaillent pas cycle de 20, comme pour les motos, ici des 300 4tps. Pdt x jours ils ne font que des vingtaine de 300 4tps, puis il passe à un autre moteur, à nouveau par cycle de 20 …

Chaîne de montage de moteurs, ils travaillent pas cycle de 20, comme pour les motos, ici des 300 4tps. Pdt x jours ils ne font que des vingtaine de 300 4tps, puis il passe à un autre moteur, à nouveau par cycle de 20…

Nous nous dirigeons vers la porte d’entrée officielle, petit détour par le secrétariat, puis par la compta afin de rappeler au bon souvenir de Philippe qu’il doit envoyer quelques chocolats belges aux charmantes dames du département… l’accueil y est tout aussi chaleureux.  Finalement, c’est Freddy Bachet, le responsable de la production, qui ne tarde pas à venir à notre rencontre.  Une fois les présentations faites, nous traversons un couloir, puis il nous ouvre une porte donnant sur une passerelle qui  nous offre un panorama des plus impressionnant sur une bonne partie de l’usine qui s’étend sur quelques 3.500 m2…

Il fait calme, c’est serein, propre, rien ne traîne, les motos, les pièces, les boites tout est aligné, rangé … difficile d’imaginer que autant de pièces sont stockées, que autant de motos sortent de cette usine dans un tel silence et une telle sérénité…  Impossible de rester inactif plus longtemps, au travail ! Je sors mon appareil photo et je commence à immortaliser ce moment privilégié, pour des raisons de « secret industriel » il n’est malheureusement pas possible de tout vous faire partager…

Sher-047

Philippe et Mika en profitent pour discuter avec Freddy qui, rapidement, nous invite à descendre afin d’entamer le visite complète de l’usine.  A peine au bas de l’escalier, nous apercevons les modèles Factory, série spéciale de milieu de saison construite par la marque qui, pour une petite bouchée de pain en plus, propose aux intéressés de la marque des accessoires pour faire de votre déjà très belle Sherco, une réplique exacte des motos engagées sur le mondial enduro (déco spécifique, ligne d’échappement FMF pour le 2tps ou Akra pour le 4tps, réservoir translucide, housse de selle avec grip et pochette pour carton de pointage, sabot moteur spécifique,…).

Les photos des premiers exemplaires ont été publiés sur le net quelques jours avant notre arrivé et, en Belgique, personne n’a encore eu l’occasion de voir les motos « en vrai ».  Mika, fan du jaune « clinquant », ne peut cacher son admiration, moi non plus d’ailleurs (bien que nettement moins fan du jaune).  Force est de reconnaitre que de voir quelque chose avant tout le monde procure toujours un sentiment particulier… On s’approche des motos « elles sont superbes » lance Mika, « ces couleurs vont très bien allé avec mes nouveaux équipements », et Mika a raison, cette version Factory est une réussite. Après quelques minutes d’observation, il est plus que temps de commencer cette visite.

Comme une horloge suisse

Freddy nous guide, les passages dans les différentes parties de l’usine s’enchaînent et ils sont tous les uns plus intéressants que les autres… Notre guide prend le temps de tout nous expliquer et de répondre à la moindre de nos questions. Nous avons reçu tant d’information qu’il m’est impossible de remettre par écrit tout ce qui a été expliqué tant Freddy nous a parlé avec passion et précision. Les photos parlent d’elles-mêmes: l’usine est réglée comme une horloge suisse, les cadres arrivent d’Espagne peints, ils sont déposés en début de chaîne de montage.  A partir de ce point, pendant que les opérateurs montent bras oscillant, fourche et cables, d’autres opérateurs assemblent les moteurs destinés à rejoindre les motos en cours de chaîne (l’usine travaille par cycle de 20 motos, pendant x semaines ils ne font que des moteurs 300 4Tps à raison de série de 20 chaque fois, destinés à 20 cadres, puis des séries de 20 moteurs 250 2tps, etc), pendant que d’autres opérateurs s’occupent d’assembler les guidons, d’autres posent les plastiques, etc

C’est le tout début de la chaine, les cadres arrivent déjà peints de l’Espagne, à partir de ce stade le montage de la moto commence

C’est le tout début de la chaine, les cadres arrivent déjà peints de l’Espagne, à partir de ce stade le montage de la moto commence

Au fur et à mesure, les points de montage se rejoignent pour former une moto presque complète. La dernière partie de la chaine de montage est également très intéressante et très importante pour la marque: le banc d’essai.  Chaque moto passe vingt minutes sur le banc. Tout y est contrôlé: puissance, température, étanchéité des joints, liquides, freins, boîte … Une fois le test terminé, les liquides sont vidangés afin d’éliminer d’éventuels micro particules de sable qui auraient pu rester suite à l’usinage des pièces moteurs.  Un défaut, ou un doute sur un point de contrôle, la moto retourne immédiatement dans la chaîne et devra repasser 20 minutes au banc pour un nouveau contrôle complet.

Alors que Philippe reste scotché sur l’écran de contrôle du banc d’essai, Didier Tirard, le directeur de l’usine, nous rejoint. C’est à ce moment que je me force de demander (c’est comme une punition tant j’aurais bien refait un second, voir un troisième tour de l’usine) si on peut aller s’isoler dans une salle afin de me débarrasser de mon obsession à vouloir tout photographier, à vouloir rechercher la meilleure mise en scène, la meilleure lumière pour ne rien perdre de ce moment privilégié…  Une fois installés dans la salle de réunion, nous entamons la discussion avec Didier. Philippe et Mika se joignent à la conversation, tout aussi attentifs et intéressés si pas plus encore que moi.  Loin, très loin d’être blasés malgré leurs visites régulières, c’est face à ce genre d’attitudes que je me rends compte que père et fils ont du sang Sherco qui coule dans les veines.  Après autant d’années être toujours aussi passionnés, intéressés, et de voir une telle complicité entre père et fils … c’est quelque chose qui se passe de commentaires.

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Didier prend le temps de nous donner plus de détails sur les sites français et espagnol.  Côté français, sur les 50 personnes oeuvrant pour Sherco, ce sont pas moins de trente têtes qui se partagent les tâches dans les département de production, montage, d’usinage, de contrôle & qualité.  Une vingtaine de personnes sont réparties entre le département administratif, comptable, recherche & développement et compétition.

De larges ambitions

La marque est en constante progression,  +25% en 2013, en 2014 à l’heure d’écrire ces lignes +29% alors que nous ne sommes même pas à la moitié de l’année.  « Notre marché de l’enduro a quasi doublé, surtout grâce à l’arrivée du deux temps, le marché quatre temps reste stable » nous annonce Didier.   Pour les passionnés de chiffres, sachez aujourd’hui que en 4 tps, Sherco vend 75% de 300 cm3 et 25% de 250 cm3.  En 2 tps c’est plus équilibré, 50% de 250 cm3 et 50% de 300cm3.  Quant à l’avenir, Didier nous explique que l’usine attend une seconde unité d’usinage: « notre unité d’usinage ne parvient plus à suivre aujourd’hui, nous en attendons une seconde pour le mois de juin, le temps de mettre la machine en route, de s’assurer de son bon fonctionnement. On espère pouvoir la mettre en production courant de cet été, ça va nous donner un coup de boost nécessaire et attendu.  Nous sortons entre 100 et 350 motos par mois actuellement, notre objectif est de passer à 450 motos ». L’occasion pour moi de rebondir sur un aspect important d’un produit aujourd’hui, la qualité :  « nous avons décidé d’apporter une attention toute particulière à la qualité de nos produits, nous avons tout récemment créé un service contrôle et qualité indépendant.  On souhaite sincèrement sortir des motos axées sur la qualité et exemptes de tout défaut, c’est une priorité aujourd’hui. D’ailleurs, notre politique est de corriger directement un problème s’il nous est signalé, aussi minime soit-il.  Nous n’attendons pas l’année de production suivante pour faire la modification sur la chaîne de montage. Nous sommes très à l’écoute des informations qui nous sont remontées de notre réseau » nous répond Didier.

Chaque moto est accompagnée d’une fiche portant à chaque stade de la chaine le nom de l’opérateur qui prend la moto en charge, à chaque étape les opérations sont encodées informatiquement de telle sorte à avoir une tracabilité tout au long de la chaine

Chaque moto est accompagnée d’une fiche portant à chaque stade de la chaine le nom de l’opérateur qui prend la moto en charge, à chaque étape les opérations sont encodées informatiquement de telle sorte à avoir une tracabilité tout au long de la chaine

L’avenir et les projets pour Sherco, quels sont-ils ? « L’avenir immédiat, c’est notre nouvelle 450 4 tps. La moto est prête, nous souhaitons commencer la production et la vente dès le second semestre de cette année encore. Le produit est attendu et les premiers retours d’essais presses que nous avons eu sont très positifs.  Après, nous avons la 125 2 tps. Le projet avance mais nous ne sommes pas encore suffisamment satisfaits du produit, le moteur est donc toujours en phase de test, de développement … Nous avons aussi un modèle MX, on peut fournir à qui le souhaite une version MX de la 250 4tps. Nous en produisons une vingtaine par an, mais nous n’en faisons pas la publicité, ce n’est pas notre priorité actuellement, ni notre marché. Ce qui ne nous empêche pas de récupérer régulièrement des informations afin de la faire évoluer dès que nous en avons l’occasion.»

David Knight l’a dit dans une interview « Sherco it’s like a family », j’ai pu constater qu’il n’a pas menti. Sherco a le vent en poupe, c’est certain. Les chiffres le prouvent. Mais derrière ces chiffres, cette visite m’a permis de constater qu’avec la ligne de conduite qu’ils se sont imposée et la passion qui les animent, la concurrence doit sans doute commencer à se méfier du constructeur français. On n’a pas fini de parler de Sherco ! La marque s’exporte d’ailleurs déjà dans des contrées lointaines telles que le Brésil, le Pérou ou la Russie !

Texte & photos: Frédéric David – Fdavid.be