Interview Manuel Priem | « Je veux prouver qu’Aprilia a sa place en MXGP! »

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« L’an dernier, tout le monde affirmait que j’allais réaliser une super saison chez Kawasaki! Je me trouvais enfin dans un team d’usine et Kawasaki ne me mettait pas la pression. En fait, c’est moi qui me suis mis la pression. En début de saison, les tests ne se sont pas tellement bien déroulés et j’en suis en partie responsable. Je voulais trop bien faire et cela ne m’a pas réussi », nous déclare Manuel Priem en évoquant sa saison 2008 au sein du team Kawasaki. Entretemps, « Dieselpriem » s’est remis de sa déception et il a rejoint le team d’usine italien Aprilia.

En fait, c’est déjà la seconde fois que Manuel, vingt-sept ans, va rouler pour un team italien. En effet, Priem a déjà roulé pour TM. « Comme lors de l’épisode TM, les gens disent que je suis fou d’avoir signé avec Aprilia et, selon certains, cela signifierait la fin de ma carrière. En ce qui me concerne, cette position d’outsider me convient parfaitement et je voudrais vraiment démontrer qu’Aprilia fabrique de bonnes motos » poursuit Priem dont cette année sera de toutes façons fructueuse puisqu’il sera papa pour la première fois à la mi-mai. C’est chez lui, en présence de son amie Eveline, que nous l’avons rencontré…

Manuel, tu n’as pas chômé ces dernières semaines. Après un stage en Espagne, tu viens d’aller t’entraîner une semaine en Italie. Comment cela s’est-il passé?

Manuel Priem: « Très bien. J’avais faim de moto. Sur les sept jours passés en Italie, j’ai roulé six jours. J’ai pu rouler sur des circuits que je ne connaissais pas. En fait, je séjournais chez un mécanicien d’Aprilia, ce qui est plus agréable que de loger à l’hôtel. A mon retour d’Italie, je me suis rendu à Monaco pour assister à la présentation du team du groupe Piaggio dont dépend Aprilia. Immédiatement après, je me suis rendu en Espagne pour m’entraîner avec Julien Bill à la MX School de Harry Everts. Comme il gelait en Belgique à ce moment-là, je pense que c’était un bon choix. Le temps était agréable mais j’ai trouvé les circuits un peu décevants. Il s’agissait en effet de circuits assez courts qui ne ressemblaient pas du tout à des circuits de GP. Tu pouvais toutefois bien t’entraîner. Que ce soit en Italie ou en Espagne, j’ai toujours roulé avec la même moto et les mêmes suspensions. Le but était de me familiariser avec l’Aprilia. Après le Starcross de Mantova (ITW réalisée la semaine précédant l’ouverture de la saison internationale à Mantova, Ndlr), je resterai encore trois semaines en Italie pour réaliser des tests sur la moto. L’usine Aprilia n’est pas située très loin des circuits de Mantova et de Montevarchi, ce qui est pratique. Au début, j’avais l’intention de rester six semaines en Italie comme à l’époque où je roulais pour TM mais, avec la grossesse d’Eveline, cela ne m’a pas semblé très raisonnable. Après l’épreuve de Valence, je rentrerai en Belgique avec le mobilhome. Je me déplacerai sur les trois épreuves du championnat italien en avion. »

Parle-nous un peu de l’Aprilia, puisque tu commences à la connaître. Elle te plaît?

Manuel Priem: « Beaucoup, en fait. L’an dernier, lorsque j’avais essayé pour la première fois la moto, à Lille (Belgique, Ndlr), j’avais déclaré avant de l’essayer que si elle ne me plaisait pas, je ne signerais pas chez Aprilia. Après un tour à son guidon, je savais que je signerais chez eux. C’était un peu le même sentiment que lorsque j’étais passé chez TM. Tout le monde s’était alors posé des questions mais je me sentais vraiment bien sur la moto. Maintenant, il reste encore pas mal de réglages à effectuer. Ainsi, sur les circuits sablonneux, le moteur manque encore de puissance mais la maniabilité est parfaite. Nous changerons également les suspensions pour utiliser des Kayaba mais celles-ci ne sont pas encore prêtes. Nous ne les aurons que pour le premier GP. »

Ce ne sera pas trop tard?

Manuel Priem: « Peut-être bien, mais les suspensions viennent du Japon. J’ai remarqué également qu’Aprilia ne mettait pas vraiment la pression sur Kayaba pour les avoir plus tôt. »

Qui a pris la décision d’utiliser des Kayaba?

Manuel Priem: « C’est vrai que je suis intervenu dans la décision. Aprilia avait utilisé jusqu’à présent deux marques de suspension, Showa pour l’avant et à–hlins pour l’arrière. Je trouvais cette combinaison un peu bizarre. Ils nous ont demandé, à Julien et à moi, si nous ne souhaitions pas autre chose. Kayaba est le top en matière de suspensions et Aprilia n’a pas vu d’inconvénients à ce que nous utilisions des Kayaba. C’est cela qui est bien chez Aprilia: ils veulent tellement démontrer que l’Aprilia est une bonne moto qu’ils font un maximum pour atteindre leurs objectifs. »

Il faut bien reconnaître que, lors des saisons écoulées, ses mauvais résultats en motocross ont fait en sorte que le nom d’Aprilia a rarement été cité dans les médias. A ton avis, à quoi étaient dà»s ces mauvais résultats?

Manuel Priem: « Oh, c’est difficile à dire. Je trouve personnellement qu’ils ont fait d’énormes progrès l’an dernier. Lorsque j’ai essayé l’Aprilia à Lille, j’ai utilisé la moto avec laquelle Cédric Melotte roulait en début de saison. J’ai ensuite roulé avec la moto que Cédric avait utilisée à Lierop, en fin de saison: c’était le jour et la nuit! Avec la première moto, je devais la forcer pour prendre un virage tandis qu’avec la seconde moto, tout me paraissait très souple et naturel. Cela fait maintenant quatre ou cinq ans qu’Aprilia travaille sur le développement d’une moto de cross et ils ont investi pas mal d’argent. Ils prennent les choses vraiment à cÅ“ur. Lors de la présentation du team à Monaco, il y avait plus de douze cents invités. L’argent ne semble pas un frein pour eux. S’ils ne croyaient pas dans le motocross, je suis convaincu qu’ils auraient déjà arrêté. »

« Avoir signé chez Aprilia ne signifie pas la fin de ma carrière! »

Tout comme chez TM, tu pars chez Aprilia avec une position d’outsider. Les choses ne peuvent donc qu’aller en s’améliorant et j’ai dès lors l’impression que cela te convient bien, non?

Manue Priem: « Tout à fait. L’an dernier, lorsque j’étais chez Kawasaki, tout le monde me disait que ce serait mon année. J’avais roulé tellement d’années sur une Kawa et voilà que je me trouvais enrôlé dans un team d’usine! En outre, je bénéficiais d’un bon encadrement et Kawasaki ne me mettait pas la pression. En fait, c’est moi qui me suis mis la pression. Cela est venu insensiblement. Je faisais partie d’un team d’usine, un des cinq meilleurs au monde, je me sentais bien sur la moto. Bref, je voulais réaliser un grand coup chez Kawasaki. Pour moi, maintenant, être chez Aprilia est un peu comme être chez TM. C’est un nouveau défi à relever. Ce n’est pas, comme certains l’ont déclaré, la fin de ma carrière. Je n’ai après tout que ving-sept ans, je me sens bien sur la moto et j’ai normalement encore quelques années devant moi. Je ne dis pas qu’il n’existe aucun risque mais, dans la vie, si tu ne prends pas de risques, tu n’arrives à rien… »

Les gens se réfèrent naturellement aux prestations d’Aprilia ces dernières années. Aprilia a compté parmi ses rangs des pilotes comme Alessio Chiodi et Cédric Mélotte, qui n’étaient quand même pas des manchots. Pourtant, ces pilotes ne sont pas arrivés à réaliser des résultats acceptables…

Manuel Priem: « C’est vrai. A Monaco, j’ai eu l’occasion de discuter avec le grand patron du motocross chez Aprilia et celui-ci m’a demandé si, les premiers entraînements ayant eu lieu, la moto me plaisait. Julien et moi avons pensé que c’était une démarche positive dans le chef de notre patron de se demander pourquoi les choses n’avaient pas marché entre Melotte et sa moto. Je ne veux même pas pas parler des résultats de Cédric. Je veux évoquer le fait que je me sens bien sur la moto. Peut-être qu’en ce qui concerne Cédric, celui-ci n’avait pas un bon feeling sur la moto. Cela peut arriver. En tous cas, je ne veux porter aucun jugement sur Cédric. »

Pas de pression de la part d’Aprilia

Je suppose qu’Aprilia t’a dit clairement ce qu’ils attendaient de toi?

Manuel Priem: « Non, ils n’ont rien dit, en fait. J’imagine qu’ils attendent de Julien et de moi que nous fassions de notre mieux, en nous donnant à 100%. En ce qui me concerne, lorsque je suis sur la grille de départ, c’est toujours le cas! »

A part d’Aprilia, avais-tu reçu d’autres offres?

Manuel Priem: « TM aurait souhaité que je roule à nouveau pour eux mais, à part TM et Aprilia je n’ai pas reçu beaucoup d’offres, honnêtement. Il y avait également Van Beers mais, dès qu’Aprilia m’a approché, ma décision a été vite prise. »

Chez Aprilia, tu auras un nouveau co-équipier en la personne de Julien Bill. Son ancien compagnon d’écurie, Marc de Reuver, est assez discret au sujet du Suisse. Ton opinion au sujet de Julien?

Manuel Priem: « Nous nous sommes entraînés ensemble une petite semaine seulement. Maintenant, je crois que je suis quelqu’un qui s’entend bien avec tout le monde et je ne m’attends pas à des problèmes de ce côté-là. »

« Chez Kawasaki, ce n’est pas évident d’obtenir des modifications sur ta moto! »

L’année dernière, c’était ta deuxième saison consécutive en tant que pilote d’usine et, de plus, pour un team d’usine renommé, le team Kawasaki de Martin van Genderen. Comme évoqué plus haut, la saison 2008 n’a pas apporté les résultats escomptés. Tu peux nous en dire plus?

Manuel Priem: « C’est vrai que la saison dernière me laisse avec des sentiments mitigés. J’avais pourtant essayé de mettre toutes les chances de mon côté. En début de saison, les tests ne se sont passés comme ils auraient dà» et j’en suis un peu responsable. Nous étions allés tester la moto dans le sable lourd de Berghem. Il pleuvait énormément ce jour-là et le sable était donc très lourd. J’avais demandé dès lors au mécanicien un moteur plus puissant. La moto était donc parfaite pour Berghem. Lorsque nous sommes arrivés à Hawkstone Park, circuit sur lequel je n’avais encore jamais roulé, on m’a dit que le circuit était sablonneux. Hors, si le ce circuit est bien sablonneux, le sous-sol est quant à lui très dur. J’ai d’ailleurs pu m’en rendre compte par moi-même puisque je suis passé six à sept fois au-dessus de mon guidon! Cela m’a fait évidemment un peu perdre une confiance que j’ai eu du mal à retrouver. C’était un peu dommage que Jan de Groot n’était plus là car c’était toujours lui qui s’occupait des moteurs. Je ne dis pas que c’était mauvais mais si tu compares avec TM, chez eux tu peux t’adresser directement à l’usine. En ce qui concerne Kawasaki, même si tu es dans un team d’usine, lorsque tu veux des modifications, il faut que quelqu’un prenne contact avec les gens au Japon. Il faut dès lors du temps avant qu’on apporte les modifications souhaitées… pour autant que tu les obtiennes! Ces problèmes étaient plus faciles à résoudre chez TM, je trouve. Ainsi, chez Kawasaki, je disposais de trois-quatre moteurs. L’un était trop mou tandis que l’autre était trop brutal. Entre les deux, il n’y avait rien. C’est ce qui a créé des problèmes pour rouler dans le sable. Sur les plans pilotage et suspensions, c’était parfait. C’est vrai que j’avais espéré obtenir de meilleurs résultats et je croyais que j’allais pouvoir rouler parmi les dix premiers en GP. C’est bien arrivé quelques fois mais, au classement final du championnat du monde, je ne termine qu’à la douzième place et c’est une déception. Il faut toutefois dire que par rapport à la saison précédente, il y avait davantage de top-pilotes. J’en veux pour preuve le fait que nous ayons eu douze vainqueurs de GP différents, je crois. »

Lorsque Kawasaki n’a pas prolongé ton contrat à la fin de la saison, j’imagine que tu as été déçu?

Manuel Priem: « J’avais un contrat d’un an avec une option pour une année supplémentaire. Le team d’usine a fusionné avec le team GPKR et tant Martin van Genderen que Roger Pourcel voulaient me garder comme deuxième pilote. C’est alors qu’est arrivée la nouvelle selon laquelle le team de Molson arrêtait ses activités. Or, Gareth Swanepoel avait encore un contrat courant sur plusieurs années avec eux. La personne qui jouait les intermédiaires entre les teams de GP et le Japon, l’Anglais Steve Steve Guthridge, a finalement décidé de conserver Swanepoel. De toutes façons, j’étais déjà en train de discuter avec Aprilia et, chez Kawasaki, c’était toujours la même chanson:  » on attend des nouvelles du Japon! » Je ne peux pas dire que ce fut une pilule dure à avaler. En plus, lorsque Martin van Genderen a déclaré qu’ils avaient trouvé un pilote capable de figurer dans le top-cinq mondial, la messe était dite! Nous verrons bien, mais ce n’est pas si évident que cela de rouler dans le top-cinq en MX1! »

« Je ne suis pas si déçu que cela de mon championnat de Belgique! »

Si la saison 2008 a été difficile pour toi en championnat du monde, on ne peut pas dire qu’elle ait été plus facile en championnat de Belgique. Pourtant, à Orp-le-Grand, grà¢ce au forfait du team Suzuki, tu avais obtenu la possibilité de bien figurer pour la dernière épreuve à Pierreux. Qu’est-ce qui a fait que tu n’aies pas pu saisir cette chance?

Manuel Priem: « J’ai réalisé de belles courses en championnat de Belgique. C’est vrai que j’aurais pu prendre la tête du championnat à Orp. Malheureusement, lors de la première manche, une pierre a percé mon système de refroidissement d’huile. J’ai ainsi perdu toute mon huile et j’ai dà» abandonner. En seconde manche, après un mauvais départ, je suis tombé deux fois. Enfin, en dernière manche, une pierre à percuté mon disque de frein. Ce fut un mauvais week-end avec plein de malchance. Le championnat de Belgique est une belle épreuve à laquelle participent toujours des pilotes de haut niveau et il s’agit d’un excellent entraînement entre les GP. Même à Orp, malgré le forfait de Suzuki, il y avait quand même des pilotes comme Strijbos, Barragan et Coppins au départ, pour ne citer qu’eux. Si j’ai connu la poisse à Orp et lors de l’une ou l’autre épreuve, je suis satisfait de mes prestations dans le cadre du championnat national. J’ai roulé quelques belles manches et j’ai obtenu un bon classement final. »

« En Italie, les circuits de cross ressemblent à des circuits de vitesse! »

La dernière fois qu’on s’était rencontrés, tu m’avais dit que certains des circuits du championnat d’Italie ressemblaient plus à des circuits de vitesse qu’à des circuits de motocross. Quels sont par ailleurs tes objectifs pour la saison 2009 en Italie?

Manuel Priem: « je ne connais pas encore tout mon programme en ce qui concerne le championnat d’Italie. C’est vrai que, pour des pilotes comme moi, les circuits ressemblent presque tous à des circuits de vitesse. Tu laisses d’ailleurs de la gomme sur le sol! Les Italiens trouvent cela tout à fait normal. Moins il y a de trous et d’ornières, mieux c’est en ce qui concerne les pilotes italiens. C’est vrai que le championnat italien est sous-estimé parce qu’on y trouve beaucoup de pilotes inconnus. Des pilotes qui ne participent pas aux GP mais qui se trouvent devant toi en Italie. Lors de ma période chez TM, Patrick Heydens m’avait averti que je risquais de ne pas me retrouver sur le podium lors de chaque épreuve. C’est vrai que rouler sur des pistes en béton n’est pas une chose aisée. Il n’y a que quatre épreuves cette année mais il est difficile de faire des pronostics. Il faut aussi voir comment la moto va se comporter sur ces circuits… »

« Selon les sponsors, il faut s’attendre à vivre trois années difficiles! »

Tu es en ce moment un des rares pilotes professionnels européens qui peuvent vivre exclusivement de leur sport. Cela n’a pas toujours été le cas et tu as dà» te battre pour devenir pilote professionnel. Quel regard portes-tu sur les pilotes qui n’ont pas ta chance?

Manuel Priem: « J’ai eu de la chance d’avoir signé mon contrat avec Aprilia avant que la crise économique actuelle se déclare. Quand tu considères comment cette crise a évolué aujourd’hui, tu peux effectivement t’estimer heureux de travailler pour un groupe de l’importance du Groupe Piaggio. Lorsque tu regardes la situation telle qu’elle existe chez Honda et Kawasaki, c’est évident que chacun souffre de la crise. Que dire des teams privés, qui dépendent entièrement de leurs sponsors pour pouvoir rouler? Bien sà»r que je suis heureux d’avoir obtenu une certaine sécurité chez Aprilia! Lorsque tu discutes avec les sponsors, ceux-ci n’hésitent pas à t’affirmer qu’il faut s’attendre à trois années difficiles, dont la plus dure sera cette année. »

Dernière question: à partir de quel moment considéreras-tu que ta saison 2009 est réussie?

Manuel Priem: « Mon objectif serait de figurer dans le top-dix mondial mais je ne sais pas ce que je peux attendre de la moto. En fait, je considérerai que ma saison aura été réussie si je suis parvenu à démontrer à chacun qu’Aprilia fabrique de très bonnes motos et si je réussis de belles courses. C’est en fait un peu la même histoire que pour TM. Personne ne croyait en la moto mais je suis parvenu à convaincre tout le monde que la moto était bonne. Je crois que cela sera mon principal objectif pour cette année. Non seulement pour les gens de chez Aprilia mais également pour moi-même. »

Texte: Tommy Ivens

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