Published On: 22 février 2015

Pendant la trêve des confiseurs, entre Noël et le début de l’an, nous avons eu la grande chance de participer à une aventure magnifique au Sénégal : traverser le pays d’ouest en est et retour au guidon de motos d’enduro et au volant de 4×4. Ce raid d’une dizaine de jours vécu en couple nous a fait découvrir un pays que nous ne connaissions pas et une culture locale de laquelle nous avons beaucoup à apprendre. Retrouvez ci-dessous la deuxième partie du récit de notre aventure…

Par Frédéric Sente (avec la collaboration des participants au raid) | Photos : Alain, Sabine, Janik, Evelyne, Benoît

> A lire également: sur les pistes de Kedougou (partie 1)

Première étape: Foundiougne Toubacouta

Nous nous réveillons aux premières lueurs du jour et avant de prendre le petit-déjeuner sur la natte au bord du fleuve la séance photo est obligatoire. La lumière est fantastique, très différente de ce que nous connaissons chez nous tant l’air est sec et pur dès que l’on s’éloigne un peu des villes. Nous découvrons le magnifique endroit où nous avons dormi cette nuit (notre arrivée nocturne nous avait privés de coucher de soleil) et que nous quitterons dans quelques instants…si nous arrivons à replier ces satanées tentes qui se montent en 2 secondes et se replient en… 2 heures. Heureusement Olivier et Benoît ne sont pas loin.

Pas de stress aujourd’hui, ni pour les motards, ni pour les accompagnants en 4×4. On commence en douceur avec moins de 150 kilomètres à faire car nous devons prendre nos marques avec les motos et le terrain, surtout les débutants qui n’en mènent pas large ce matin. Alain parade avec ses bottes toutes neuves mais on sent bien qu’il n’est qu’à moitié rassuré. Pour une fois, ce consultant en informatique prend lui-même des conseils à gauche et à droite : tu es sûr que c’est à droite le frein ? Ouille…c’est VRAIMENT un débutant !

alain botte

Olivier n’est pas très à l’aise non plus, il roule un peu avec la Kawa pour se familiariser avec les commandes et comprend très vite que le frein avant doit se manipuler avec douceur. Il n’a pas encore quitté le bivouac qu’il tâte déjà du sable africain et déchire partiellement son garde-boue avant. Je vois dans les yeux de John une certaine inquiétude… pour les pilotes bien sûr mais aussi pour l’intégrité physique de ses KLX…

alain premier départ

Nous briefons un peu les deux gaillards mais la théorie ne sert pas à grand-chose dans ces cas-là et le mieux est qu’ils se lancent dans le bain pour lâcher la pression. Départ sur une route pendant quelques kilomètres pour arriver au bac qui fait la jonction entre les deux rives du fleuve. En attendant le bac, nous rencontrons le gardien du chantier voisin qui surveille les travaux d’aménagement d’un port en construction et qui est sensé désengorger celui de Dakar de nombreux chalutiers… un jour car ce sont des Coréens qui le construisent et ils ont pris beaucoup de retard. Entretemps, la beauté du site est préservée et ce n’est pas plus mal. La conversation s’engage de suite avec simplicité. Ici les gens se parlent, ils échangent et s’aident l’un l’autre. Les Sénégalais sont super accessibles, très disponibles et toujours prêts à aider. L’accueil au Sénégal est une tradition séculaire (la légendaire Téranga).  Ici on ne dit pas « bonjour »…on dit « bonjour, ça va ? » et invariablement la réponse est « ça va bien »…et la conversation peut démarrer. On sent que les locaux aiment la moto. Ils parlent tout de suite de « Rallye » et de « Paris-Dakar » avec enthousiasme et ils sont toujours curieux de savoir d’où l’on vient et où l’on va.

Une fois le fleuve franchi, nous découvrons les premières pistes sablonneuses.  C’est assez roulant, voire même plutôt facile tout en étant piégeux si la vitesse augmente car les distance de freinage sont longues à cause du sol meuble et très glissant. Ce n’est pas du sable comme chez nous, comme sur nos circuits de motocross « flamands » ou comme au Touquet. Non, c’est plutôt de la terre sablonneuse mais la moto s’enfonce quand même un peu de l’avant si on ne se tient pas en accélération et légèrement sur l’arrière en serrant les genoux. Evidemment c’est un peu usant et la tentation est grande de s’assoir au milieu de la selle comme un pacha…mauvaise idée.

fleuve

Nous allons jouer avec le fleuve une bonne partie de la journée et découvrir des endroits magnifiques, des petits villages de pêcheurs et surtout cette incroyable mangrove où l’eau saumâtre et les arbres ont trouvé un équilibre improbable en l’absence de terre. Dans cette nature riche de milliers d’oiseaux, les arbres (des palétuviers) ont une multitude de racines-échasses qui plongent directement dans l’eau et ils peuvent ainsi s’adapter lors de la saison des pluies lorsque le niveau d’eau est bien plus haut. Cette nature très verte (et pourtant rongée par le sel) a été protégée en devenant Parc National et l’Unesco a classé tout le delta du Sine Saloum au patrimoine mondial.

Nous arrivons à Toubacouta, une petite cité coincée entre la terre et la mer où la population vit de la pêche, de la culture des mollusques (nous mangerons des huîtres chaudes délicieuses à l’apéro) et du tourisme … enfin lorsqu’il y en a car les touristes boudent un peu le Sénégal en ce moment, effrayés par la grippe Ebola et par les guerres de religion. C’est vraiment dommage car tout cela ne concerne pas le Sénégal où la population est très tolérante et où les différentes ethnies cohabitent en harmonie…nous y reviendrons plus tard….
A l’exception de John et Olivier qui choisissent de faire une longue boucle supplémentaire, les motards arrivent en premier à l’hôtel et découvrent cet endroit magnifique que Paul et John ne manquent jamais de proposer lors de chaque raid : l’hôtel Keur Saloum, un complexe à taille humaine situé au bord du fleuve et tenu par un Belge (un Gantois qui parle aussi bien le français que vous et moi). Cet hôtel est un employeur important pour le village et son personnel est au petit soin avec nous et toujours prêt à nous renseigner ou à nous aider.

keur saloum

Ce soir, nous dormirons dans des petits pavillons, sortes de maisonnettes rondes au toit pointu avec tout le confort moderne, y compris l’électricité en permanence et la clim’. Après avoir pris un cocktail ou une bière locale bien fraîche au bar extérieur et piqué une tête dans la piscine, nous retrouvons nos femmes qui arrivent enfin. Elles ont un peu trainé en chemin, ainsi que Douga d’ailleurs car la remorque a eu des petits problèmes pour descendre du bac. Un montant métallique s’est coincé dans le bateau…pas de problème, une poignée d’hommes forts s’est mobilisée pour déplacer la remorque latéralement (et pourtant elle devait faire son poids vu le chargement de motos et tout le matériel de bivouac…au moins 2 tonnes…) et bien évidemment ils y sont arrivés. Ne manquent plus à l’appel que Patsy et Sabine qui arriveront plus tard car elles ont fait un sérieux détour pour aller  visiter un village que Patsy ne connaissait pas. C’est un peu le principe de ce raid ; on n’est pas dans un voyage strictement organisé où tout le monde doit monter dans un bus à la même heure et se rendre au même endroit. Les plages de libertés sont importantes dans le timing et la seule contrainte (et encore…) est de ne pas arriver trop tard le soir, en tout cas d’arriver de jour si possible. Nous profitons de la terrasse couverte qui donne une vue imprenable sur la mangrove en sirotant l’apéro…ce soir c’est grand luxe.

Bien que nous soyons au beau milieu de la saison sèche (il ne pleuvra pas -ou vraiment très peu- avant le mois de juin) l’eau est partout et nous décidons d’aller vivre le coucher du soleil en pirogue sur la mangrove et d’assister au ballet incroyable des oiseaux qui envahissent les arbres pour la nuit. C’est un moment magique dont on se souviendra longtemps. Pendant cette escapade, John et Paul qui connaissent l’endroit par cœur se chargent de faire une petite maintenance sur les motos. Il faut principalement contrôler les niveaux, retendre les chaines et tout checker rapidement.
La soirée sera animée, personne ne semble regretter d’être là et le repas qui nous est servi est franchement délicieux.

Seconde étape Toubacouta- Makka

On se lève tôt en Afrique (à part Janik, bien sûr, qui a toujours un peu de mal à émerger de ses plumes…ben quoi…c’est les vacances, non ?) et c’est tant mieux car la lumière du petit matin est toujours magique. Après un copieux petit déjeuner, il nous reste à recharger quelques motos sur la remorque car certains ont décidé de ne pas rouler aujourd’hui. Puis, nous constatons qu’un 4×4 a un pneu dégonflé…bref nous prenons un peu de retard avant de nous élancer vers 11 heures sur la piste.

remorque

Je roule dans la roue de Paul sur des pistes de sable (donc sans poussière) et je comprends en le regardant comment « lire » le terrain. Paul ne prend pas de risque mais son rythme est loin d’être ridicule et l’animal ne semble pas vite fatigué. De temps en temps, nous marquons une pause ou nous « jardinons » un peu dans un village car il y a une multitude de pistes qui se croisent et qui sont parfois parallèles.  Je me demande comment les anciens faisaient pour s’y retrouver avec des road-books papier il y a quelques années. Cela devait être franchement moins évident d’ailleurs les chutes étaient beaucoup plus nombreuses (avec parfois des conséquences fâcheuses) car il fallait très souvent recaler le road-book et le trip et, pour cela, quitter la piste des yeux évidemment. A ce niveau, l’arrivée du Tripy est un vrai progrès.

Il est déjà l’heure de se restaurer et de faire une bonne pause à l’ombre d’un Baobab car il fait très chaud aujourd’hui, sans doute 40°. Au menu, Salade niçoise et jus de fruit (chouette le sac à dos s’allège). Tout à coup le GSM de Paul sonne :

« Quoi ? des douaniers ? »… « et qu’est-ce qu’ils veulent ? »….
« P… f… ch…. ». « OK, j’arrive…».

John et moi venons aux nouvelles : des douaniers ont contrôlé Douga avec la remorque et les motos dessus mais….c’est Paul qui a les papiers de toutes les motos dans son sac à dos…et pas question de repartir comme cela. Bref, Paul nous quitte. Il va rebrousser chemin puis quitter l’itinéraire pour recouper le tracé des accompagnants et apporter les papiers  à Douga.
Il rechargera ensuite sa moto dans le pick-up et finira l’étape en voiture.

pickup

Nous repartons donc à deux, John et moi, pour finir l’étape. Les kilomètres s’enchaînent. Il y en aura presque 250 au total et c’est bel et bien de l’enduro et pas uniquement des pistes rapides où il suffit de mettre du gaz. Nous arrivons enfin sur la route goudronnée qui mène à Maka et il ne nous reste plus que 30 kilomètres de bitume. John est devant moi, nous roulons tranquillement à 80-90 quand ma moto décide de s’arrêter : plus de jus. Cela fait en effet un bout de temps que j’ai ouvert les réserves gauche et droite et tout est vide. John ne m’entend pas crier et il s’éloigne sur la route. OK…quand il se retournera il verra bien que je ne le suis plus et il fera demi-tour…à moins qu’il ne tombe en panne d’essence plus loin évidemment.

A peine 3 minutes s’écoulent et un 4×4 avec une grosse remorque arrive sur la route : c’est Douga et Tamou ! Fameux coup de bol : ils auraient dû être au bivouac depuis longtemps mais avec tout le temps qu’ils ont perdu avec les douaniers…Bref, c’est mon jour de chance, je fais le plein et je suis prêt à repartir lorsque j’entends John qui revient. Il s’arrête et nous annonce qu’il a eu un appel de Patsy et d’Olivier qui sont tombés en panne avec leur 4×4 plus en amont. Le moteur du Pajero s’est arrêté plusieurs fois mais ils ont pu repartir et se trouvent à moins de 30 kilomètres derrière nous. Comme ils craignent de retomber à nouveau en panne, nous décidons John et moi de ne pas bouger et de les attendre tandis que Douga reprend la route pour le bivouac.

Le temps passe… il est presque déjà 19 heures et c’est donc à la nuit couchante que Patsy et Olivier nous rejoignent. Nous allons enfin rentrer sur Maka et tenter de trouver le bivouac. Les phares de nos motos ne sont pas très efficaces, alors nous allumons nos Petzel fixées au casque et surtout le 4×4 nous suit de près pour que l’on profite de son éclairage. Rouler sur une route africaine la nuit est un véritable coupe-gorge où se mélangent les gens, les animaux, les charrettes, les voitures, les camions…tout cela plus ou moins éclairé par des phares mal réglés. Je ne me sens plus à l’aise du tout quand un chien traverse devant mes roues et que j’évite la gamelle sur le bitume de toute justesse. Pour le même prix, c’était strike ! Nous roulons à 50 à l’heure et, franchement, je n’en mène pas large. Même si j’ai déjà fait un paquet de bornes en moto dans ma vie…cette expérience-ci est mémorable. Nous nous arrêtons à l’entrée de Maka et nous téléphonons à Paul (qui est finalement arrivé au bivouac le premier) car l’endroit précis de ce bivouac-ci n’est pas connu à l’avance (cela dépend de l’état des cultures) et comme il fait nuit…cela ne sera pas simple de le trouver. Bref, Paul vient finalement nous chercher au centre de Maka et nous guide sur une piste en latérite vers le bivouac qui est à quelques kilomètres en dehors de la ville. Je suis son 4×4 à bonne distance car la poussière est épouvantable et je slalome entre des trous qui font parfois un mètre de profondeur…on se croirait presque à la Chinelle. John se laisse d’ailleurs surprendre et finit sur le dos, heureusement sans gravité.

Nous arrivons enfin au bivouac où l’accueil de nos « Gazelles » (qui ne nous ont visiblement pas attendus pour attaquer l’apéro) nous fait bien plaisir. Elles répètent une chorégraphie pour le soir du réveillon…affaire à suivre.

Outch….ce n’est quand même pas de tout repos ce raid ! Bon, allez, l’urgence c’est 2 ou 3 bières locales bien fraîches (j’avoue que j’en ai rêvé après presque 10 heures de route…et leur bière locale, la Flag, est vraiment  très bonne). Pour la douche, on verra demain. Le confort de l’hôtel Keur Saloum est bien loin, nous sommes tous assis en cercle sur une natte au milieu de nulle part…c’est bien là toute la magie de ce raid. Un bon repas « made in Tamou » et…au dodo…

natte bivouac

Troisième pied en colère ? non : dodo j’ai dit !

A suivre…