Motocross – Décès de Georges Jobé | L’hommage de Joël Smets à  Georges Jobé

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En vacances la semaine passée après sa longue hospitalisation, Joël Smets n’a pas pu se rendre aux obsèques de Georges Jobé. Mais le quintuple champion du monde 500cc voulait malgré tout rendre un dernier hommage à  celui qui fut son idole, en lui adressant de son lieu de villégiature le texte repris ci-dessous. Un grand champion rend hommage à  un autre grand champion…

Adieu, Georges…

1980. Un an plus tôt, le BMX était arrivé des Etats-Unis. J’ai été l’un des premiers « vrais fans » de ce sport bien meilleur marché que le motocross. Un jour de l’été 1980, nous disputions une course à  Retinne, près de Liège. A cette époque, pour un adolescent comme moi, quitter la Campine pour se rendre à  Liège était déjà  une expérience en soi mais cette course prit encore une tournure toute différente lorsqu’il s’avéra que le circuit de BMX était tracé juste à  l’arrière de la propriété de la famille Jobé.

A l’école, on nous enseignait un tas de choses à  propos de Jules César, des présidents américains, du Roi Baudouin,.. mais mes empereurs à  moi s’appelaient De Coster, Rahier, Malherbe, Everts,… et il y avait aussi le jeune prince Jobé qui arrivait à  ce moment-là  sur le devant de la scène. Et là , nous allions aller faire du vélo dans le jardin du prince! En outre, cerise sur le gà¢teau, nous étions invités après la course à  visiter l’atelier du team officiel Suzuki en GP 250cc, installé à  ma grande surprise dans les garages de la maison familiale des Jobé.

Ce que j’ai vu là -bas ce jour-là  restera à  jamais gravé dans ma mémoire: rien de moins que 6 (!) machines d’usine Suzuki rigoureusement identiques alignées les unes à  côté des autres. Moi qui rêvais depuis des années de devenir motocrossman, ce spectacle me laissait sans voix. Même si ce n’est pas Georges lui-même qui nous a fait visiter les ateliers ce jour-là , cette expérience a fait en sorte que je l’ai ensuite suivi de plus près que les autres champions de l’époque.

Cher Georges, cette même année, tu devenais champion du monde pour la première fois, ce qui me permettait de remettre en avant auprès de mes amis ma visite dans tes ateliers. Dans les années qui suivirent, même si j’étais encore jeune, je comprenais très vite, via les discussions de mes parents ou de ce que je pouvais lire ou entendre dans les médias, que tu n’étais absolument pas normal, comprends par là  que tu étais quelqu’un d’ambitieux, obstiné, déterminé à  faire son propre truc. Tu as toujours cru en toi-même. C’est une qualité que j’ai toujours respectée et que je me suis efforcé de trouver en moi-même.

En 1983, tu remportais ton second titre mondial en 250cc. Suite à  quoi, après quelques années en 500cc avec les inévitables hauts et bas, tu décidais de suivre ta propre voie pour 1987 avec un team majoritairement privé. Ainsi, je me souviens que tu avais par exemple préféré une fourche White Power, bien moins connue à  l’époque que la Showa que tout le monde utilisait. Bien que peu de gens croyaient en ton pari à  l’époque, tu étais pourtant souvent le plus fort, au point que cette saison marquait ton premier titre mondial en 500cc. Mais le succès n’était pourtant pas toujours au rendez-vous, comme lorsque Eric Geboers, aussi ambitieux que toi, rejoignait la catégorie reine pour devenir le premier « Mister 875 » alors que ta saison en 125cc était un échec.

Plus tard, au début des années 90, alors que tu disposais seulement de matériel ex-HRC, tu devenais, contre toute attente, champion du monde 500cc à  deux reprises en 1991 et 1992. Entretemps, nous étions devenus concurrents. Quand, en 92, j’ai terminé au guidon de ma Honda 500cc privée le championnat en 4ème position, le respect que j’avais pour toi est devenu un respect mutuel.

Tu as ensuite raccroché ton casque et nous n’avons eu que très peu de contacts. Jusqu’au début des années 2000, quand tu as commencé à  organiser des courses au Qatar. Certains pilotes, dont Stefan Everts, n’ont pas reçu l’autorisation de la part de leur employeur pour se rendre au Qatar. Heureusement, en ce qui me concerne, cela ne posait aucun problème à  KTM. Maintenant que tu étais devenu organisateur, tu reconnaissais toi-même que tu n’avais pas toujours joué le jeu durant les années où tu étais au top en te contentant sur certaines courses de « passer à  la caisse »… Pour cette raison, tu appréciais d’autant plus que je me donne à  100% sur tes organisations pour offrir aux cheiks qataris le spectacle attendu.

Les années qui suivirent, nous avons entretenu des contacts réguliers et chaleureux. Encore après ton accident en 2007, lorsque tu nous as donné à  tous une incroyable leçon de courage. Avec la même volonté, tu venais à  bout en 2010 d’un cancer de la peau.

Tu me paraissais être devenu immortel. Mais lorsque, au début de cette année, j’ai appris que tu étais touché par une leucémie, j’ai pensé: cette fois, c’en est trop, c’est injuste, personne ne mérite autant de souffrance. Nos contacts ont changé car, avec les lourds traitements que tu subissais, tu n’avais plus la force de téléphoner ou d’envoyer un SMS par toi-même. Mais je me souviens que, après plusieurs tentatives, j’étais parvenu à  avoir ta voix rauque si particulière de l’autre côté de la ligne. Nous avions parlé de ta lutte contre la maladie comme on aurait parlé d’un championnat de motocross. Bien sà»r, tu pouvais avoir un jour « sans », évidemment tu pouvais perdre l’un ou l’autre GP, mais tu gagnerais une fois de plus ce championnat… Après 6 semaines de chimiothérapie dans un hôpital bruxellois, tu avais envoyé cet SMS: « Salut, je suis à  nouveau à  la maison, de retour de l’enfer, la revalidation peut commencer… merci pour votre soutien! » Abandonner n’était décidément pour toi jamais une option!

Quelques semaines plus tard, je me souviens que je t’avais appelé en présence des pilotes alors que nous étions occupés à  préparer le Motocross des Nations à  Lommel. Je savais que cela te ferait plaisir. Dès la première sonnerie, tu avais décroché le téléphone avant d’entamer un monologue à  couteaux tirés à  propos de pourquoi et comment nous allions gagner… et ce, malgré le fait que tu luttais toi-même à  ce moment contre la mort! Le monde à  l’envers…

Même affaiblie, ta légendaire voix rauque restait forte, solide et enthousiaste. J’étais tout d’un coup convaincu que tu pourrais toi aussi gagner ton « championnat ». Hélas, nous n’avons pas pu t’offrir le cadeau d’une victoire au Motocross des Nations, pas plus que tu n’as pu triompher dans ton dernier combat.

Georges, comme ceux de nos Rois, ton nom restera gravé à  jamais en caractères gras dans l’histoire de notre pays. You’ll never walk alone!

Joël Smets

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