Enduro – Red Bull Romaniacs 2013 | Romaniacs: l’enfer désiré

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Les Red Bull Romaniacs, dont la 10ème édition a été disputée du 2 au 6 juillet derniers, font partie des enduros les plus extrêmes du calendrier international. Si Graham Jarvis, quadruple vainqueur de l’épreuve, a une nouvelle fois survolé les difficultés les plus folles réservées aux concurrents, la plupart d’entre eux ont souffert. Inévitablement, les Red Bull Romaniacs laissent des traces. Le récit de notre compatriote Philippe Geelhand le confirme…

« Comment décrire cette cuvée de la classique roumaine… « Indigeste » serait trop soft, « démesurée » serait insuffisant… « monstrueuse », peut-être bien.

Après une édition 2011 coriace mais vaincue, celle-ci restera dans ma mémoire comme acide et pleine d’amertume. C’est sà»r qu’en posant ses tétines ici, on recherche les limites, voire plus. Dès le prologue, il n’y a plus trop d’affinités. Selon les ‘maniacs’ récurrents, il a été le plus … piquant depuis la création de l’épreuve! Pas de panique, que vous soyez 11ème ou 130ème (eh oui, y a de plus en plus de ‘masos’), même punition, 15 minutes!

Pourtant au ‘GO’, c’est avec le couteau entre les dents que je tourne la poignée de droite. Les petits jumps et la série d’arbres couchés parallèlement et en croix ne posent pas vraiment de problème. Arrive ensuite l’enchaînement du pierrier XXL avec les pieds d’arbre centenaire et les pneus…sans oublier les rondins de bois. A quoi cela peut ressembler? A un lancer de motos dans un bain de vapeur sentant le liquide de refroidissement et l’essence. Avancer progressivement en évitant, si possible, les chutes d’objet motorisées non identifiés, semble être la solution. 18 min plus tard, je m’extirpe de ce cloaque malsain. La cocotte bouillonnante sous le casque et les radiateurs crachant leurs dernières gerbes de glycol! Pas de quoi faire mieux que les pénalités de base. Au passage, mon levier d’embrayage s’est fait la malle et ses disques ont méchamment morflé. Séance mécanique l’après midi pendant que mes ‘cons-lègues’ se farcissent les finales. Un quart d’heure pour les uns, vingt minutes pour les autres à  tourner en rond sur ce prologue de 500m afin de déterminer celui qui fait le plus de tour et ne prend pas d’une à  15 min de pénalités. Bonne chance les gars!

Les choses sérieuses arrivent. DAY ONE. Départ à  5h45 pour 48km parcourus en une bonne heure, à  l’arrière de la camionnette d’assistance dans le noir avec les 4 motos de l’équipe se balançant de gauche à  droite sur les petites départementales roumaines. Pas génial pour digérer le petit-déjeuner. Le départ est situé le long d’une route, c’est un passage escarpé en forte montée sur une dizaine de mètre, avant de rejoindre un sentier de chèvre sentant bon la Roumanie profonde. Dans un sous-bois, 6 km après le départ, une branche « maousse costaud » cachée par de vilaines feuilles me scalpe littéralement. Je me retrouve directement à  terre avec ma petite rousse (surnom affectueux donné à  mon fidèle destrier) qui gît quelques mètres en aval. Un motard anglais ayant vu ma cabriole, s’inquiète de mon état. Un peu sonné, je repars pour me retrouver une dizaine de km plus loin dans un bouchon à  faire pà¢lir le péage de Fourvière un weekend de transhumance estivale! Après avoir étudié plusieurs itinéraires ‘bison futé’, je finis par suivre la ravissante et pétillante concurrente, Sorina Sandu pour un petit ‘détournement’ qu’elle semble parfaitement connaitre. Ah OK…c’est donc cela la recette… A nouveau sur le droit chemin, les montées interminables et quasiment infranchissables défilent, heureusement sans une goutte de pluie à  l’horizon sans quoi ce serait l’apocalypse.

Ayant monté un embrayage automatique, je gagne sà»rement quelques précieuses minutes dans les lits de rivières et les montées délicates, par contre, n’ayant pas investi dans le frein arrière à  main, les descentes deviennent effrayantes car il n’y a pas moyen de caler le moteur en 1ère en jouant de l’ embrayage pour garder un minimum d’adhérence. Grosse bêtise que cet embrayage! A chaque montée sérieuse, je redoute la descente qui lui succède immanquablement. Elles sont interminables et surtout … non contrôlées.
En voilà  une belle qui arrive : longue, pentue (euh… très pentue)! Les premiers 30 m, j’arrive à  louvoyer en freinant perpendiculairement à  la pente, puis en essayant de prendre un minimum de vitesse une fois la moto face à  la pente. Mais la piste se resserre en ‘single-track’ entre les arbres et les cailloux. Et toujours un dénivelé de malade. Une légère courbe à  droite et mon pied n’atteint plus le frein arrière. En quelques mètres seulement l’accélération est brutale. Tout comme le soleil par l’avant qui s’ensuit et les joyeux cumulets qui s’enchaînent. J’agrippe ma belle rousse pour qu’elle ne se retrouve pas dans un trou ou un ravin insondable.

Ainsi sur l’arrête de montagne pentue, elle et moi glissons indéniablement vers le bas, tout en essayant de soulager son avant et ses radiateurs fragiles. Je perds facilement 30 min dans cette foutue descente.

     

S’enchaînent ensuite encore quelques montées très limites et des descentes ahurissantes, mais ça passe tout juste avant d’atteindre enfin le ravitaillement après 5 heures de roulage. Arrivé au terme des 20min de pause obligatoire, pendant laquelle moto et pilote sont abreuvés, impossible de me relever. Le corps a déjà  bien souffert, et ce n’est que le début. Je repars finalement quelques minutes plus tard pour me retrouver au bas d’un mur ! Une grosse ravine quasiment verticale, et ça monte, ça monte, toujours plus haut. Un passage en ‘S’, beaucoup de cailloux, un sol meuble. Je me cale. Heureusement, des spectateurs m’envoient une corde et ça passe. Mais je suis dans le rouge, comme au prologue : épuisé. Un peu plus haut, un passage glissant entre des rochers dans un sous-bois mais toujours en montée. Comme neuf pilotes sur dix (j’ai les statistiques officielles), la moto ne passe pas du premier coup. Je pousse, ça fume, ça glisse et … ça tombe encore et encore. C’est là  que je revois Malcolm. Un pote anglais rencontré sur des pistes marocaines. Il me donne un coup de main, mais les jambes et la tête surtout, ne suivent plus. La, je sens que c’est fini pour cette année. Je le laisse partir, le moral en berne, pour qu’il ne perde pas trop de temps.

Comme souvent après une dizaine de minutes, le souffle revient et la rage aussi. C’est exactement ce qu’il me fallait pour passer ce foutu de tas rocheux. Le pied bien calé sur le pose-pied droit pour assurer un bon appui, un gros coup de gaz, et ça y est, encore un passage de franchi. Les kilomètres s’égrainent et les quelques passages en prairies révèlent des paysages de montagnes majestueux. Le ciel d’un bleu intense contraste avec le vert foncé des forêts et le vert clair des étendues de prairies. La Roumanie est magnifique et c’est pour cela aussi (ou surtout ?) qu’on vient ici.

C’est là , au dernier check-point avant le finish, que je vois Martin Freinadementz, notre bourreau organisateur de ce supplice. Il me dit que je suis 20 minutes en avance sur mon ‘time-bar’, un temps maximal donné à  chaque pilote entre deux sections. S’il est dépassé, c’est la mise hors course et le retour par la route. Cette bonne nouvelle, un Red-Bull et une barre énergétique plus tard, le moral revient. Les montées et descentes s’enchaînent. Elle est belle cette forêt. Belle mais usante.

A une dizaine de kilomètres de l’arrivée, je retombe sur Mal et quelques-uns de ces compatriotes. Ils peinent le long d’une rivière où à  quelques mètres du lit serpente un petit chemin. On s’y met à  4 pour faire passer les motos sur les roches trialisantes. Blessé au pied, un des rosbifs quitte le parcours suivi par ses amis. Je continue et je me perds, seul cette fois. Dernier de ma catégorie en piste. Le fléchage fait défaut et le gps m’indique un trou insondable. Pas bon. Aller-retour interminable pour retrouver la bonne piste. Je me fais finalement rattraper par les « sweepers », les motos balais. Avec eux, on finit par retrouver la bonne voie évidemment mais ils ne sont pas très rapides. Tant pis, je les laisse derrière moi et continue sans eux. J’espère juste que je ne vais pas me perdre à  nouveau !

A 21h15, après 12h de moto, j’atteinds l’arche du taureau aillé désignant le finish. Yessss ! Je suis arrivé au bout, tout au bout du bout de cet enfer ! Seulement 96km et complètement à  côté de mes bottes, des crampes dans les jambes, et mal partout, je m’écroule. Réconforté par 2 cannettes de la boisson magique et beaucoup d’eau, je reprends la route et les derniers 30km de liaison pour atteindre l’hôtel.

     
     
     

La nuit se passe mal, elle ne répare rien. Gros mal de tête au réveil et un sérieux hématome au bas des cervicales. La branche de la veille n’a pas fait qu’amocher le casque…le bonhomme a dégusté aussi. Avant le départ de la 2ème journée, le médecin de la course me fait un diagnostique et m’envoie faire un scanner à  l’hôpital de Sibiu : la dernière rénovation du bà¢timent doit dater des années soixante, tout est en décrépis et sale, les draps du lit aux urgences sur lesquels on me demande de me coucher n’ont pas été changé depuis un an : crasseux et maculés de sang. Il fait chaud, ça pue et ça crie partout. L’examen terminé, on m’annonce qu’aucune lésion, fracture ou hémorragie n’est visible. Juste une commotion moyenne : Ouf, c’est déjà  ça. Les antidouleurs et du repos feront l’affaire. Il est déjà  passé midi et impossible de rejoindre l’étape suivante. C’en est bien fini pour les Romaniacs 2013. Chiffre maudit !
Dégouté moi ? Euh…rendez-vous en 2014. Pilote et machine mieux préparés ! »

Philippe Geelhand
Enduriste convaincu et…un peu maso…

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