Le rédacteur en chef du magazine « On Track Off Road », Adam Wheeler, s’est entretenu à bà¢tons rompus tout récemment avec Clément Desalle non seulement à propos de la saison écoulée mais également au sujet de la manière avec laquelle il conçoit son métier et sa vie en général.
Deuxième, troisième puis deux fois second, Clément Desalle, vingt-quatre ans, a été le principal rival du champion du monde MX1 Antonio Cairoli au cours de ces dernières années. Desalle, garçon réservé mais direct, a souffert d’une blessure à l’épaule en 2011 et de problèmes personnels en 2012 (deux décès dans sa famille en 2012.). Malgré ces ennuis de santé et ces problèmes familiaux, Clément a continué, week-end après week-end, à opposer une résistance farouche au pilote sicilien. Cela a été particulièrement vrai en 2010 lorsque le pilote Suzuki a remporté trois des cinq premiers GP puis au cours de ces dernières semaines lorsqu’il a remporté trois GP d’affilée.
Vous ne trouverez pas Desalle sur aucun des médias sociaux tels Facebook ou Twitter car même s’il représente véritablement l’avenir du MXGP, il appartient solidement à la race des pilotes tels qu’on les rencontrait dans le passé. En effet, il préfère laisser la parole à sa vitesse et à ses résultats que de jouer les commerciaux ou les relations publiques. Clément est un garçon bénéficiant d’une bonne éducation et il est respectueux des choses et des gens. Il est timide sous la lumière des projecteurs et il n’aime pas toute l’agitation que cela entraîne. On peut dès lors comprendre que le champion belge ne fasse pas l’unanimité dans le public ou dans la presse. Sur une moto, il est formidable; il est rapide lors des départs et il n’a pas peur de montrer sa roue avant au concurrent qui se trouve devant lui avant de faire tout ce qu’il pourra pour le dépasser. Le pilote suzuki a montré tout son potentiel non seulement dans le championnat MX1 mais également dans le championnat AMA Outdoor (deux apparitions cette saison) où il est monté sur le podium et a impressionné plus d’un observateur américain.
En fait, si Desalle s’amuse sur sa RM-Z450, il est alors pratiquement imbattable. Il s’amuse d’ailleurs tout autant en dehors des GP, que ce soit en jouant avec ses animaux, en roulant sur une Superbike à Francorchamps ou en pratiquant l’enduro (il a d’ailleurs remporté haut la main voici peu une épreuve du championnat de Belgique) avec ses amis dans les bois proches de sa maison située en Wallonie et qu’il partage avec Andrea, son amie allemande.
‘Je crois que la première fois où j’ai pensé que je pourrais devenir un bon pilote de motocross, c’est lorsque j’ai eu la chance de pouvoir rouler en GP!’
« J’avais participé a quelques Supercross en Allemagne mais je mes suis blessé après seulement quatre épreuves. C’est alors que le team Kurz m’a proposé de participer au championnat du monde MX1, ce qui m’a surpris car j’étais encore fort jeune. Même si j’étais blessé, j’étais excité par cette proposition et j’ai pensé que c’était une opportunité incroyable. C’était mon premier contrat. A cette époque, il y avait une liste de qualification lors de chaque GP et si on ne se qualifiait pas, c’était difficile de figurer à nouveau sur la liste pour le prochain GP. Il y eut énormément de pression lors des premiers GP, en 2006. C’est ainsi que je me trouvais sur la liste à Zolder mais seulement en trente-deuxième position. J’étais première réserve et je ne suis pas arrivé à me qualifier pour la course suivante. J’étais à nouveau seconde réserve à Bellpuig en Espagne et j’ai pu participer à la seconde manche. C’était ma première course en GP. C’était un sentiment extraordinaire de se rendre vers la grille pour la première fois. L’année d’avant, je regardais tout ça à la TV! »
‘Si je regarde en arrière, je suis content d’avoir quitté l’école avec un diplôme en mains’
« J’avais déclaré à mes parents que cela ne me dérangeait pas de rester à l’école jusqu’à mes dix-huit ans mais que je ne voulais pas étudier davantage ou aller à l’université. Il y a eu une époque où je voulais être pilote de chasse et j’en ris aujourd’hui avec mon amie. C’était un peu fantaisiste mais d’un autre côté, si tu as un caractère qui fait que les choses se passent comme tu le souhaites, pourquoi pas? »
‘Je n’ai jamais ressenti un manque par rapport au fait que je n’allais pas en boîte ou que je ne participais pas à des soirées.’
« J’étais sans doute assez singulier du fait que je ne pensais qu’à une chose: quitter l’école pour aller rouler ou m’entraîner. Je voulais simplement m’améliorer. Je suppose qu’être un athlète implique de mener une vie tout à fait différente par rapport à une personne normale. Je me demande parfois ce que ma vie aurait été si j’étais sorti comme les garçons de mon à¢ge mais je ne regrette pas du tout mon choix. J’aime mon style de vie et le sport que je pratique. J’éprouvais trop de plaisir à rouler sur ma moto quand j’étais tout jeune que pour imaginer ma vie autrement. »
‘J’ai énormément de respect pour mon père; il me connaît plus que n’importe qui dans mon sport.’
« J’écoute évidemment les conseils que me donnent d’autres personnes, particulièrement dans mon team mais avec mon père, c’est plus facile. Parfois, juste en le regardant, je sais ce qu’il va dire. Je dirais qu’il doit plus souvent me calmer que me botter le derrière! Je veux toujours en faire plus et parfois, cela peut être trop. Ma mère est toujours positive et c’est une bonne chose; cela crée un bon équilibre. Si j’ai connu une mauvaise journée ou si j’ai réalisé un mauvais résultat, elle trouvera toujours un mot pour tirer un enseignement positif de ce qui a mal été. Mon père n’est pas comme ça et nous sommes lui et moi du genre à dire ‘M…!’ alors que ma mère dira: »ce n’est pas si mal, tu n’es pas pas blessé et tu feras mieux le prochaine fois. » C’es vraiment bien et important de les avoir tous les deux. »
‘Mon père avait toujours une moto qui traînait dans le garage ou ailleurs.’
« C’est comme ça que j’ai commencé à aimer les bicyclettes et tout ce qui avait un moteur. Mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent; comme la plupart des familles, ils travaillaient dur pour posséder leur propre maison et vivre une vie décente. A l’à¢ge de dix ans, je n’avais encore participé à aucune course. J’accompagnais mon père et ma famille sur des courses auxquelles il participait. Il a ensuite commencé à travailler avec quelques pilotes en s’occupant de leur moto et de leur entraînement non seulement le week-end mais également pendant la semaine. Il n’y avait que deux pilotes et ils couraient en France. Je suivais le groupe quand je pouvais et quand je n’étais pas à l’école. J’aurais pu aller jouer et m’occuper seul mais j’écoutais ce que mon père disait et je regardais ce qu’ils faisaient. C’était le boulot de mon père et j’aimais vraiment beaucoup être avec lui et ses pilotes. »
‘Je crois que mes parents stressaient beaucoup lorsque j’ai commencé à rouler mais cela s’est arrangé par la suite.’
« Nous roulions toujours en France parce que mon père considérait que le style GP qui consistait à s’entraîner le samedi et à rouler le dimanche était une bonne chose. Mes parents étaient stricts en ce qui concerne l’école. En France, je voyais des enfants qui avaient arrêté l’école et qui roulaient alors qu’ils étaient encore très jeunes mais mes parents ne voulaient pas que je fasse la même chose et ils me disaient que l’école était importante. Cela rendait les choses difficiles car nous devions parfois parcourir de longues distances en peu de temps pour participer aux courses. Jusqu’à l’à¢ge de douze-treize ans, je n’ai jamais participé à un championnat complet. Mon père sélectionnait les courses simplement pour que j’acquière de l’expérience . Les classements importaient peu tandis qu’on ne riait pas avec les résultats aux examens! »
‘J’avais l’habitude de dire à mon père que j’aimais avoir beaucoup de puissance sur la moto et être capable de la contrôler.’
« J’avais treize ou quatorze ans et je commençais déjà à rouler sur une 450 simplement pour le plaisir. Je revenais de l’école et je partais avec la moto rouler dans les bois proches de la maison. L’été, lorsque les journées étaient plus longues, je m’amusais beaucoup le soir à emmener la 450 entre les arbres. Il y a des semaines où je roulais tous les jours sur des circuits très petits mais très techniques. Si tu voyais l’endroit, tu dirais que c’était impossible de rouler là avec une 450 mais j’ai appris beaucoup dans cet endroit. J’y retourne d’ailleurs rouler parfois. Je disais d’ailleurs à mon père qui si on savait rouler vite là -bas, on savait rouler vite partout. En effet, il fallait être très prudent à cause des bosses et des arbres. Quand j’ai commencé à rouler sur la 450, je me suis amélioré rapidement. J’étais un bon pilote sur une 125 ou sur une 250 mais je n’étais pas un pilote dont on pouvait dire qu’il allait sortir du lot. Je participais au championnat d’Europe et je faisais partie d’un petit team belge. J’avais la chance de rouler sur ujne quatre-temps et j’ai progressé au niveau européen jusqu’à ce que je monte sur mon premier podium à Sevlievo, en Bulgarie, en 2005. J’étais troisième. L’offre faite par Kurz était bonne mais impliquait que je roule sur une 250 deux-temps puis sur une 450. »
‘Je n’ai aucun problème avec les journalistes et je sais qu’ils font partie de mon boulot.’
« Je pense qu’il sagit d’une question de respect réciproque et parfois, j’ai l’impression que ce respect réciproque n’existe pas. Il y a certains journalistes qui considèrent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent avec toi! En effet, parfois, ce n’est pas le bon moment pour moi d’octroyer une interview et parfois, je n’ai simplement pas le temps à un moment en particulier. Si quelqu’un veut une interview, on en discute avant et c’est alors OK. Je suis parfois mécontent de voir mes paroles transformées lors de la publication de l’interview. J’ai eu un problème de la sorte par le passé avec un journaliste belge. Les journalistes peuvent écrire ce qu’ils veulent dans leurs articles et ainsi donner une mauvaise et fausse image de quelqu’un. Je sais que je peux parfois être en colère lors des courses, je m’en rends compte. En fait, je suis fà¢ché sur moi-même et sur une situation en particulier. Ce n’est peut-être pas le bon moment pour vouloir me parler. Au début, je pense que mon niveau d’anglais n’a pas aidé. En 2006, je ne parlais pas un mot d’anglais et ce n’était pas facile pour moi qui venais d’un petit village et qui sortais de l’école de devoir subitement parler à la presse. Il y a quelques années, il y a eu cette rumeur qui voulait que je ne m’entendais pas avec la presse. C’était comme une sorte de mauvaise blague. »
‘Lorsque je me blesse, je commence à gamberger beaucoup et mentalement, des périodes comme cela ne sont pas faciles à gérer.’
« Certaines personnes peuvent rester très positifs en se disant ‘dans trois mois, je serai de retour’. Je ne suis pas comme ça. J’essaye de faire différentes choses pour m’occuper, pour me rétablir et pour ne pas penser trop. Je ne crois pas que je suis un pilote qui est très souvent blessé. Si je veux faire le bilan de mes blessures, disons que j’ai eu une fracture du pied avant de commencer à rouler en GP mais depuis que je suis en championnat du monde, je me suis déboîté une épaule et je me suis fracturé l’autre. Un doigt ouvert et quelques contusions… Je ne me sens pas encore comme un vieil homme! En 2011, lorsque Bobryshev a atterri sur mon dos dans le cadre du championnat de Belgique, j’ai vraiment ressenti toute l’importance du dos pour tout le corps. Le dos est comme une grosse machine avec beaucoup de muscles et de ligaments et cela prend du temps pour revenir à la normale après une blessure à cette partie du corps. »
‘J’ai effectué quelques bons GP récemment. Je voulais gagner simplement parce que j’avais besoin de victoires.’
« C’est comme si j’avais été fatigué d’attendre! Cétait tout le temps le même type (Cairoli) qui gagnait. C’était bien sà»r le pilote à battre mais c’est surtout le fait de gagner à nouveau qui était important.Je n’avais pas eu de chance en Italie et je me trouvais dans une position où j’attendais un changement. J’ai remporté la première manche en Allemagne mais malheureusement, Cairoli a gagné la deuxième. Puis est arrivé Loket. J’aime bien Loket car c’est un circuit à l’ancienne même s’il comporte des sections modernes et des sauts. Le départ est vraiment important car si on ne part bien, c’est difficile de remporter le GP. Cela s’est bien passé pour moi cette année et c’est pour ça que je dis que j’aime bien ce circuit! »
‘Les gens parlent encore du GP de Finlande et de cette bagarre avec Searle…’
« OK, la manoeuvre était un peu trop agressive mais il ne faut pas npn plus dire que j’ai essayé de le tuer. J’ai signé l’avertissement que m’a remis la FIM et les choses en sont restées là . Quoique la semaine avant le GP d’Allemagne, j’ai repensé à cette histoire et je n’étais pas tout à fait d’accord avec la décision de la FIM. Personne n’a vu véritablement ma manoeuvre de dépassement et elle ne figure pas sur la video de l’épreuve. Dans un premier temps, Searle m’a dépassé – sans problème – puis je l’ai dépassé à nouveau. C’est alors qu’il est revenu sur moi d’une manière très aggressive. J’ai pensé qu’il n’y allait pas doucement. Ensuite, on s’est à nouveau battu et il est parti en dehors du circuit puis nous sommes arrivés dans le virage et nous nous sommes touchés. Comme je l’ai déclaré à la FIM, s’il l’avait voulu, il aurait pu couper les gaz. Ce que je n’ai vraiment pas aimé, ce sont ses commentaires sur internet selon lesquels je lui aurais rendu la monnaie de sa pièce. Il a voulu reparler de cette affaire alors qu’on était sur la grille au GP d’Allemagne mais ce n’était pas le moment car on était à quelques minutes du départ de la manche qualificative mais je lui ai dit que cela m’était égal qu’il soit tombé. C’est vrai que sur la vidéo, on voit que je me retourne après que nous nous soyons touchés mais c’était seulement pour voir s’il était encore derrière moi parce qu’il aurait pu vouloir me sortir du circuit au prochain virage! Quoiqu’il en soit, chacun a son propre style de pilotage. C’est une vieille histoire qui n’existe plus pour moi. »
‘Depuis la seconde partie de la saison, mes départs sont meilleurs et je suis plus en confiance à ce sujet’
« J’ai un peu modifié ma technique de départ et les courses auxquelles j’ai participé aux Etats-Unis m’ont beaucoup aidé sur ce plan-là . Essayer quelque chose de neuf lors d’un GP peut faire peur car si cela ne marche pas, on peut perdre beaucoup. Aux Etats-Unis, le niveau était très élevé mais je n’avais pas grand’chose à perdre et il n’y avait aucune répercussion sur un quelconque championnat. Ceci dit, les Américains sont vraiment très rapides.’
‘Nous étions vraiment sérieux lorsque nous avons pensé aller courir aux Etats-Unis.’
« J’en ai discuté avec Andrea (sa compagne, NDL) et mes parents et nous avons considéré plusieurs options. Je ne suis pas le genre de type à faire les choses sur un coup de tête. Je ne voulais pas simplement partir et prendre les choses comme elles allaient venir. J’avais un bon contact aux Etats-Unis et à un certain moment, nous étions prêts à partir. J’avais considéré le team qui allait m’accueillir ainsi que les termes de mon contrat car l’argent est important dans ce type d’aventure vu qu’il faut bien continuer à vivre. Finalement, nous ne sommes pas allés jusqu’à la signature du contrat. Mon but principal est d’être heureux dans la vie et de me faire plaisir en roulant. Il ne s’agit pas seulement d’une affaire d’argent. Aller aux Etats-Unis aurait signifié renoncer à beaucoup de choses. Rien que d’y penser m’avait fait perdre le sommeil et ce déménagement alimentait les conversations le soir. Lorsque nous sommes revenus des Etats-Unis durant l’été, je suis allé directement à Ernée pour le GP! Le circuit n’était pas beau et c’est vrai que j’avais alors plus envie d’aller rouler en championnat AMA mais après un moment, on considère le pour et le contre. Finalement, nous avons pensé que ce n’était pas plus mal de continuer en GP. Mon team est constitué de personnes vraiment valables qui travaillent dur pour donner le meilleur aux pilotes. Je suis conscient de toutes les bonnes choses qui m’entourent. »
‘Est-ce que je pense que j’aurai le temps de devenir champion du monde?’
« D’une certaine manière, oui. Si la chance se présente, je la saisirai mais je pense que j’ai encore quelques années devant moi. Si cette chance se présentait maintenant, c’est certain que je ne dirais pas non mais je ne veux pas me mettre la pression en fixant une date butoir parce que participer à un championnat signifie tenir compte du facteur chance. Il s’agit d’un sport mécanique et il y a beaucoup de facteurs qui se rejoignent. Certains pilotes remportent beaucoup de courses sans jamais remporter un championnat. Je pense à des pilotes comme Bervoets et Coppins. Je suis heureux parce que j’ai la chance d’avoir Andrea, ma compagne, ainsi que deux chèvres et un chien. J’ai ce dont j’ai besoin. Mais oui, c’est vrai, j’ai remporté trois des quatre derniers GP mais le championnat reste l’objectif principal. »
‘Je pense avoir besoin d’un mental solide pour atteindre le sommet. Je dis ce que je pense. Je ne vous dirai pas ‘blanc’ si je pense ‘noir’ et c’est vrai que tout le monde n’apprécie peut-être pas cette manière d’être.’